59 NORD TRADITION

LA GRANDE HISTOIRE DES GEANTS

La grande histoire des géants

La mythologie grecque recèle quantité d'affrontements, appelés gigantomachie, que l'on peut apercevoir su les frises des temples. Les géants, héritiers des Titans, combattent les Dieux, avec l'aide des humains comme Héraclès, qui coupe la langue du dragon. Les Romains, lors de célébrations rituelles purificatrices, liées au calendrier, projetaient dans le Tibre des mannequins d'osier. César, dans la Guerre des Gaules, remarque que les Celtes brulaient de gigantesques mannequins d'osier, rite sacrificiel de passage au solstice d'été.

Apparitions dans les processions

Dès le XII° siècle, dans le grand mouvement d'indépendance communal, les processions religieuses et municipales permettent à la cité d'affirmer son indépendance par rapport au seigneur féodal ou au clergé. En Espagne, la Reconquista chrétienne a amplifié le phénomène des processions religieuses. Il est tentant d'imaginer une transmission depuis l'Orient, par la péninsule ibérique. Car la première mention historique d'une effigie ou d'un monstre nous vient du Portugal et date de 1263. Le commerce en pleine croissance, les foires de Champagne et des Flandres, ont pu constituer des lieux d'échanges et de transmission, véhiculant cette pratique vers le Nord de l'Europe. Au début du XIV° siècle, les tissus lillois transitent par Montpellier, s'exportent vers la Catalogne.

 Au siècle précédent, ceux de Douai s'exportent au Portugal, en Castille. Les corporations constituent le cadre de ces échanges, qui défilent par métiers lors des processions. Les premières mentions de processions datent du XIV° siècle en Flandres, Hainaut et Brabant. Saint-Christophe, protecteur de la confrérie des arquebusiers, juché sur des échasses, apparait lors de l'Ommegang, ou tour processionnel d'Anvers, dès 1398. Saint-Georges, érigé par les arbalétriers, affronte le dragon la même année. A Mons, le combat dit « Lumeçon » en est une survivance. Les animaux et autres monstres, courants dans le sud-est de la France, apparaissent au XV° siècle, comme la Tarasque de Tarascon. D'inspiration biblique, le combat de David et Goliath persiste encore aujourd'hui à Ath.

Gayant, le premier

En 1530, les manneliers douaisiens, fabricants de paniers d'osier, et les careyeurs, fabricants de chaises, construisent le premier mannequin d'osier, nommé Gayant, signifiant géant en picard. La Belgique a conservé de nombreux dragons et animaux, tirés de la Bible et des écrits hagiographiques. Lors du Meyboom de Bruxelles, l'aigle, le lion, symboles des évangélistes, ou même le chameau, témoignent de ces origines religieuses. C'est également le cas en Espagne ou dans le sud de la France, à Béziers. Pour la population, ces effigies, à l'égal des statues et frises des églises, sont un moyen d'accès aux Saintes Ecritures et au message de l'Evangile. La Légende Dorée, de Jacques de Voragine fournit la source littéraire de ces représentations. Idoles adorées, nos amis géants sont ensuite victimes de l'Inquisition. La brillante Renaissance accouche d'une littérature novatrice, nourrie des auteurs grecs et latins. François Rabelais écrit Pantagruel en 1532, puis Gargantua en 1534. Parcourant le monde, ces colosses nous parlent de l'aspiration à l'universalité, le modèle du bon roi et du bon gouvernement, la découverte de l'Amérique. Peu à peu, le géant va devenir le symbole tutélaire de la cité et un moyen d'identification des habitants. L'événement solaire et calendaire, passage de l'hiver au printemps, se traduit par des effusions de joie, charivaris ou travestissements.